Métropolite Hiérothéos, Psychothérapie orthodoxe. La science thérapeutique des Pères de l’Église
- Détails
- Publication : mercredi 10 septembre 2014 15:27
- Écrit par pr. Razvan Ionescu
- Affichages : 5572
Introduction
« Beaucoup est dit aujourd’hui sur les problèmes psychologiques. Je crois que les problèmes psychologiques ainsi nommés sont surtout les problèmes des pensées passionnées, du noûs enténébré et d’un cœur impur ».
« Lorsque nous parlons de l’âme, nous ne la comprenons pas comme séparée du corps parce que l’homme n’est pas composé seulement d’une âme, ni seulement d’un corps, mais des deux unis étroitement entre eux. »
Pour parler d’anthropologie chrétienne, définissons le christianisme comme un voyage dynamique qui commence avec le baptême qui est la purification de « l’image » de Dieu en l’homme et qui se poursuit avec la vie ascétique et l’action de la grâce pour que l’homme parvienne à la « ressemblance » de Dieu, c’est à dire la déification, la communion avec Dieu : théoria‑vision de Dieu.
Pour que la vision de Dieu ne nous consume pas mais soit une lumière qui nous vivifie, il faut que la purification soit d’abord établie en nous, elle est une exigence préalable : cette purification est une thérapie qui est l’œuvre de l’Eglise dont la tête est le Christ; le Christianisme sans la purification est une utopie.
L’Eglise est l’hôpital où le Christ est le médecin qui guérit les maladies de l’homme (Parabole du Bon samaritain); c’est l’enseignement fondamental du Nouveau Testament et des Pères de l’Eglise : « Une foi en Christ qui ne passe pas par quelque guérison en Christ n’est pas du tout la foi » dit le professeur Jean Romanidés qui ajoute : « La tradition patristique n’est ni une philosophie sociale, ni un système éthique, ni une religion dogmatique : elle est un traitement thérapeutique. Sous cet aspect elle ressemble beaucoup à la médecine, surtout à la psychiatrie. L’énergie spirituelle de l’âme qui prie noétiquement (par le noûs) et sans relâche dans le cœur est un instrument physiologique que tous ont en eux, mais qui a besoin de guérison. Ni la philosophie, ni aucune des sciences positives ou sociales n’est capable de guérir cet instrument. Cela peut seulement être fait à travers l’enseignement des Pères neptiques et la pratique de l’ascétisme. Toutefois, ceux qui ne sont pas guéris ne connaissent même pas l’existence de cet instrument qui est en eux‑mêmes. »
En conclusion de cette introduction, nous dirons que la guérison de l’homme est en fait la purification du noûs, du cœur, de l’image de Dieu en nous : cette purification conduit à la communion avec Dieu, c’est à dire à devenir temple du Saint‑Esprit.
Le noûs : définition, maladie, guérison
Le noûs est souvent traduit faussement par intelligence, pensée, intellect, raison ou même esprit; mais, chez les Pères, il est utilisé pour désigner soit l’âme elle‑même, soit le cœur profond, soit une des trois puissances de l’âme de l’homme qui sont le noûs, le verbe intérieur et l’esprit, ces trois puissances de l’âme correspondant à l’image de Dieu – Père‑Noûs, Fils‑Logos, Esprit‑Saint‑Pneuma, en nous.
Le noûs correspond à l’image du Père céleste dans l’âme humaine. Il est l’œil de l’âme qui voit la lumière Divine quand il est en bonne santé; cet œil est souvent enténébré par les passions, le péché : alors les puissances de l’âme que sont l’intelligence, la raison, la pensée se détournent de Dieu pour se disperser, par les sens, vers le monde extérieur.
Tout l’effort ascétique de guérison de l’âme va consister à ramener dans le cœur, réceptacle du noûs où la grâce de Dieu agit, les énergies projetées vers les sens. C’est la synergie des efforts de l’homme (jeûne, prière, pénitence, silence) et de l’œuvre de la grâce de Dieu (œuvre de l’Esprit‑Saint et des sacrements) pour que l’homme retrouve l’énergie du noûs qui a la connaissance de Dieu.
Le traitement thérapeutique va d’abord consister à sentir que l’on est malade, à reconnaître nos faiblesses, nos erreurs et à les déposer devant Dieu (confession). Puis vient le chemin ascétique qui consiste à s’engager à un travail sur les sens, si possible avec l’aide et le conseil d’un père spirituel (quelqu’un qui a déjà commencé ce chemin) : « l’homme a cinq sens, donc il y a cinq pratiques ascétiques » dit Nicétas Stéthatos disciple de St Siméon le Nouveau Théologien).
Ainsi en face de la vue, on trouvera l’agrypnie (veille la nuit, avec offices et prières), en face de l’ouïe, on trouvera l’étude‑méditation de la Parole de Dieu, en face de l’odorat, on trouvera la prière, en face du goût, on trouvera la tempérance‑jeûne, en face du toucher, on trouvera l’hésychia – l’hésychia consistant en la libération du cœur des pensées et des images passionnées pour atteindre le repos‑silence‑union en Dieu. Cette ascèse‑vigilance accompagnée de la célébration fréquente de la liturgie apporte la purification du noûs et apprend à l’homme à subordonner sa volonté à la volonté de Dieu (apathéia).
Ainsi l’Eglise avec son enseignement, sa vie liturgique, son ascèse et ses mystères (sacrements) libère le noûs et fait de lui le trône du Saint‑Esprit.
L’âme et sa guérison
Les traducteurs de la Septante de l’Ancien Testament ont traduit le mot hébreu « nefesh », qui a plusieurs sens, par le mot grec « psyché » qui a donné l’âme. Toute chose qui a vie est appelée âme. Saint Jean Damascène dit à propos de l’âme : L’âme est immortelle..., c’est une pensée qui vient d’avant le Christianisme (Platon, …); nous acceptons cette pensée sous 3 conditions :
1. l’âme n’est pas éternelle mais crée
2. l’âme de l’homme n’est pas l’homme car l’homme est psychosomatique (corps et âme unis)
3. l’immortalité de l’homme n’est pas fondée sur l’immortalité de l’âme mais sur la Résurrection du Christ et sur la Résurrection des corps à venir.
L’âme de l’homme est immortelle par grâce et non par nature.
L’immortalité de l’homme n’est pas la vie de l’âme après la mort, mais le franchissement, le dépassement de l’état de mort (de vie passionnelle) par la grâce du Christ.
Saint Jean Chrysostome dit : Le Souffle Divin qui crée l’âme est l’énergie du Saint‑Esprit; le Saint‑Esprit crée l’âme sans devenir cette âme elle‑même.
Nous n’avons ni d’existence du corps sans une âme, ni d’existence de l’âme sans le corps. Dès l’instant où Dieu crée le corps, Il crée l’âme (d’où la position chrétienne sur l’utilisation des embryons), mais l’âme est à l’image de Dieu et donne la vie au corps qui lui est attaché.
Saint Grégoire de Nysse dit : L’âme n’est pas soutenue ou emprisonnée par le corps, mais elle soutient le corps; elle anime chaque partie du corps.
L’âme, à l’image de Dieu est noétique, raisonnable (intelligente), passible (puissance du désir) et a donc trois énergies; son centre est le cœur profond où réside le noûs.
L’âme crée par Dieu à Son image est bonne, vierge de toute passion et immortelle. La chute de l’homme, c’est à dire l’ âme qui perd la grâce de Dieu, le noûs qui cesse d’être en relation avec Dieu et est enténébré, cette chute entraîne la mort spirituelle et ensuite la mort corporelle; une âme peut conserver un semblant de vie, mais être morte spirituellement, car privée de l’énergie du Saint‑Esprit; c’est ce que St Paul appelle « l’homme psychique qui ne reçoit pas et n’accepte pas les dons de l’Esprit de Dieu » 1Cor 2, 14; ainsi nous voyons qu’une âme humaine malade transmet la maladie et l’ obscurcissement à toute l’existence psychosomatique de l’homme.
Toute notre civilisation est une civilisation de la perte du cœur, du noûs. Notre civilisation identifie le noûs avec l’intellect, la raison qui sont des puissances du verbe de l’âme, mais nous avons perdu l’accès par le cœur à la présence de l’Esprit‑Saint : c’est une sorte de mort spirituelle, où l’énergie du cœur, du noûs s’est éloignée de Dieu et s’est tournée vers les passions; et si le noûs qui est l’œil de l’âme est altéré, malade, alors toute l’ âme est malade et obscurcie : c’est l’endurcissement de l’âme, la captivité, l’insensibilité, l’illusion,...
Toute la vie ascétique de l’Eglise et les sacrements vont contribuer à la guérison de l’âme, à la redécouverte de la prière pure et du lieu du cœur où le Christ habite. La partie intelligente de l’âme va être soignée par la sobriété‑vigilance, la partie passible‑désir par la charité et la partie noétique par le silence‑prière pure.
Le noûs, comme image de Dieu, est vivant et lumineux seulement lorsqu’il est uni au Christ, la prière nourrit le noûs et le vivifie : ainsi le noûs est un char tirant l’âme soit vers Dieu, soit vers le péché‑maladie et la mort spirituelle.
La guérison de l’âme est donc le fruit des pratiques ascétiques sur les cinq sens dont on a parlé précédemment, avec le repentir‑confession, les sacrements et la vie liturgique en Eglise.
Le noûs guéri est « libre, plein de joie et tourné vers le Royaume, il est ressuscité, illuminé et uni à Dieu »; le corps même devient délivré des passions maladives.
Le cœur et la personne
Le noûs est l’œil de l’âme et le cœur est le centre de l’être humain, le centre du monde spirituel; c’est l’endroit qui reçoit l’énergie incréée de Dieu, la grâce. Chez beaucoup d’hommes, ce cœur profond est inconnu, car la grâce de Dieu est secrètement cachée dans son cœur.
C’est seulement par la purification des passions, l’ascèse alliée à l’œuvre Divine de la grâce, que se révèle le cœur, que l’on peut alors, aussi, appeler la révélation de la personne, car l’homme devient une personne quand il devient capable de ressembler à Dieu.
La personne nommée hypostase est « l’homme caché dans le cœur », c’est à dire, ce qui est incorruptible, ce qui aux yeux de Dieu est d’un grand prix. C’est ce qui est le noyau le plus précieux de l’être humain, ce qui entre en communion et en union avec le Christ et ou personne de l’extérieur n’a accès : personne ne peut la définir car c’est une réalité indépendante provenant de la grâce de Dieu.
La Paix et la Lumière de Dieu règnent dans le cœur profond de l’homme purifié.
Au contraire, quand le cœur cesse d’épouser la volonté de Dieu, il tombe malade et devient mourant : l’ imagination ou l’illusion (plus fines que la pensée) sont souvent les causes du début de la perte du cœur, mais aussi l’ignorance et l’oubli de Dieu, la dureté et l’endurcissement du cœur, l’impureté ou l’ orgueil du cœur, le manque de droiture, la rudesse, la sensualité et la luxure.
Abba Dorothée dit : « Aussi longtemps que nous sommes sujets à la passion, nous ne devons pas du tout faire confiance à notre cœur »
La thérapie du cœur va s’appuyer sur le repentir, la métanoïa (récitation du psaume de pénitence, souvenir de la passion du Christ qui humilie le cœur), la prière, la blessure ou souffrance offerte à Dieu, les larmes qui ont une grande valeur devant Dieu et qui, pour certaines, sont comparables à un baptême, car elles nettoient la boue de notre âme, l’invocation du nom de Jésus.
En Conclusion de cette très brève présentation, on peut dire que la guérison de l’âme, la guérison du noûs, la guérison du cœur, sont l’œuvre du Christ qui agit dans Son Eglise et dans nos cœurs, pour peu que nous acceptions de collaborer de toutes nos forces à cette œuvre; alors le travail de la grâce du Saint‑Esprit vient progressivement nous délivrer de nos prisons, de nos ténèbres et nous conduire à la communion et l’union avec Dieu, à la vision de Sa Lumière incréée.
« O Christ Dieu, Tu T’es transfiguré sur la montagne, Tu as montré à Tes disciples Ta gloire autant qu’ils pouvaient la supporter; que Ta lumière éternelle resplendisse pour nous aussi pécheurs, par les prières de la Mère de Dieu, O Donateur de Lumière, Gloire à Toi »
(Tropaire de la Transfiguration)
Recension: http://www.apostolia.eu/fr/articol_1303/anthropologie-chretienne-et-psychotherapie.html
Une autre recension: http://orthodoxie.com/lire/recensions/recension-mtrop-2/