Science et Religion

Colloque "Théologie et science" (2002)

Construire le cadre d'un nouveau dialogue    

(repris à partir du compte rendu publié par le Service Orthodoxe de Presse - SOP no 273 / Dec. 2002 avec l’accord du directeur de la publication)

 

Organisé par l'archevêché du patriarcat de Roumanie en Europe occidentale et Méridionale, le colloque s'est tenu les 26 et 27 octobre 2002, à Paris, dans la crypte de l'église Saint-Sulpice - paroisse Sainte Parascève et Sainte Geneviève. Ce colloque, le premier du genre, a réuni environ quatre-vingts personnes, des scientifiques et philosophes ainsi que des prêtres et des théologiens, venus de France, de Roumanie, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Placé sous la présidence du métropolite JOSEPH, qui a offert une brève introduction

ce colloque visait à offrir le cadre d'une rencontre entre scientifiques et théologiens orthodoxes et catholiques. Il a permis d'aborder avec rigueur et clarté les problèmes d'ordre méthodologique et épistémologique liés aux défis de la recherche et des sciences exactes face à la foi : comment vivre en tant que chrétiens dans un monde qui se structure de plus en plus suivant des modèles techniques ? Comment découvrir la présence de Dieu, s'il paraît impossible de l'objectiver, de l'expérimenter scientifiquement, alors que dans les sociétés modernes le savoir scientifique est investi d'une valeur suprême par rapport aux autres connaissances ?

Le colloque s'est articulé autour de quatre tables rondes.

 

La première, portant sur "Pourquoi et comment développer le dialogue entre la science et la théologie?", a réuni trois intervenants. Jean STAUNE, fondateur de l'Université Interdisciplinaire de Paris, organisateur de colloques internationaux (dont le dernier en date a réuni, six mois avant ce colloque, au siège de l'UNESCO à Paris, cinq prix Nobel), a traité de la rencontre entre les connaissances d'ordre scientifique les plus récentes et les intuitions que l'on trouve dans les traditions religieuses : 

 

Basarab NICOLESCU, directeur du Centre international de recherches et d'études transdisciplinaires (CIRET), membre d'honneur de l'Académie des sciences de Roumaine, a proposé une réflexion sur la pensée scientifique, la pensée apophatique et l'avenir de l'Europe :

 

Magda STAVINSCHI, directrice de l'Institut astronomique de l'Académie des sciences de Roumanie, coprésidente du groupe de travail de l'association internationale d'astronomie The Future Development of Ground-Based Astrometry, devait montrer comment se sont articulées les relations entre science et théologie en Roumanie dans le passé ainsi que ces dernières années :

 

Les interventions ont été suivi par un débat :

 

La deuxième table ronde a regroupé quatre scientifiques, qui ont présenté le regard de la science sur la théologie. Pierre PERRIER, membre correspondant de l'Académie des sciences, a souligné le besoin d'avoir une science où la dimension spirituelle ne soit pas considérée comme parasitaire, mais nécessaire, créatrice.

 

Il y a dans l'histoire de l'univers des émergences inattendues qu'on doit approfondir par nos réflexions scientifiques et théologiques : la vie, les espèces, la végétation et l'homme, a souligné de son côté Michel GODRON, professeur des universités et ancien chercheur au CNRS. Ses conclusions ont mis en évidence, d'une manière très réaliste, mais assez optimiste, la possibilité de rechercher des "traces" de Dieu dans la création, par des faits scientifiques. Silviu NICULESCU, chercheur ayant obtenu la médaille de bronze du CNRS en 2001, a parlé de systèmes et interconnexions, proposant des ponts vers la pensée théologique en partant de la réalité méthodologique de la science.

 

On peut identifier une rationalité dans ce monde, même si elle est d'une certaine manière apophatique, a-t-il expliqué. "Le hasard est-il la logique de Dieu?", s'est interrogé pour sa part Laurent MAZLIAK, mathématicien, maître de conférences à l'université Paris-VI, qui effectue des recherches sur la problématique du hasard.

 

Les interventions ont été suivies par un débat. 

 

La première partie de la troisième table ronde a été ouverte par deux intervenants, le père Thierry MAGNIN, vicaire général du diocèse de Saint-Etienne (Loire) et ancien professeur de physique à l'École nationale supérieure des mines, et le père SILOUANE, moine du monastère orthodoxe Saint Antoine-et-Saint-Cuthbert, en Grande-Bretagne (archevêché roumain). Le père Thierry MAGNIN a proposé une comparaison, très appréciée par l'auditoire, entre la méthodologie de la science et celle de la théologie.

 

Cette communication a été complétée, d'une manière originale, par l'intervention du père SILOUANE, qui a parlé de la dimension intérieure de l'homme, de la connaissance de l'être humain en tant que personne par rapport au savoir scientifique, qui s'adresse au monde extérieur [voir cette intervention dans notre Archive vidéo (version anglasie) de notre site].

Dans sa seconde partie, la troisième table ronde a été marquée par l'intervention du père Jean BRECK, professeur à l'institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), qui a traité de la rencontre entre la bioéthique et la théologie, sa réflexion portant sur la problématique actuelle des cellules souches. Sa communication a été complétée par celle d'Anne OBOLENSKY-GURAN, juriste, sur le statut juridique de l'enfant à naître, en Europe.

Le père Marc-Antoine COSTA DE BEAUREGARD, doyen des paroisses françaises de l'archevêché roumain, a ensuite présenté les fondements dogmatiques de la connaissance selon l'Église orthodoxe. Il a insisté sur l'idée d'inspiration divine chez le scientifique, qui vise à faire avancer l'état de la recherche pour le bien de tous, en évitant la tentation du "Tout est permis". On peut parler d'une complémentarité entre la science et la théologie, a estimé le père Noël TANAZACQ, prêtre orthodoxe et conservateur en chef à la bibliothèque de l'Ecole Pratique de Hautes Etudes, à Paris. Viorel STEFANEANU, maître de conférences de littérature comparée à l'Université de Paris-XII - Créteil, a montré les dégâts qu'une certaine forme de totalitarisme scientifique a faits aux 19e – 20e siècles.

 

La quatrième table ronde a porté sur le livre "Science et théologie. Préliminaires pour un dialogue" paru à Bucarest il y a deux ans. Elle a été animée par deux des co-auteurs de l'ouvrage, deux jeunes scientifiques et théologiens roumains. Adrian LEMENI, ingénieur, docteur en théologie et assistant à la Faculté de théologie orthodoxe de Bucarest, a parlé de l'origine du monde, telle qu'elle ressort de l'approche de la science et de la théologie. La conception orthodoxe, a-t-il souligné, "repose sur une herméneutique biblique et patristique, assumée dans l'esprit des Pères de l'Église". Il ne s'agit pas tant "d'un accord de la Sainte Écriture avec les dernières découvertes scientifiques, que d'un effort de purification de la raison pour être en continuité avec l'esprit des Pères". L'autre intervenant, le père Razvan IONESCU, docteur ingénieur en génie biomédical et prêtre orthodoxe à Paris, recteur de la paroisse Sainte Parascève et Sainte Geneviève, a proposé une analyse du caractère rationnel de la connaissance, selon les deux mêmes approches. Il a souligné que la connaissance théologique est véritablement rationnelle, mais que sa rationalité n'est pas identique à celle des sciences exactes. L'amour de Dieu induit une connaissance interpersonnelle, où vivre la grâce signifie un accomplissement, même un dépassement des facultés humaines, ce qui permet de parler non pas d'une irrationalité, mais d'une supra-rationalité de la connaissance par la foi, n'excluant pas la démarche scientifique, a-t-il souligné.

A la fin du colloque, scientifiques et théologiens ont été invités à dresser un premier bilan de leur échange. Tous se sont prononcés pour la poursuite du dialogue, certains se félicitant que les scientifiques aient parlé comme des scientifiques et les théologiens comme des théologiens. La rencontre a également permis de montrer qu'on assiste aujourd'hui à un dépassement de l'époque positiviste et scientiste, alors que dans le même temps, la théologie orthodoxe s'est engagée dans un travail de redécouverte de ses racines patristiques. "Dans ce contexte, renouveler le dialogue entre les sciences exactes et la théologie afin de favoriser la rencontre d'une science et d'une théologie authentiques, dépourvues d'idéologies", constitue "un enjeu lourd de promesses pour aujourd'hui et pour le monde à venir", devait conclure le père Rãzvan IONESCU.