Science et Religion

Andreea Ionescu, Conception et contraception (IIème partie)

 

 

II.

La conception

 © Andreea Ionescu 2015 -  Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur 

 

II.1 La conception à travers l’histoire

 

Nous avons vu, au début du chapitre précédent[1], qu’est-ce que, du point de vue biologique, la conception, et quelles sont les étapes du développement embryonnaire. Encore restent-ils aujourd’hui beaucoup d’inconnues dans le mystère de la procréation humaine. L’histoire, d’abord des idées, et ensuite des connaissances sur la conception a quelques  milliers d’années et a connu tant de périodes d’éclairage que d’obscurité, à cause des idéologies ou des préjugés de l’époque.  

Jusqu’à la fin du 18e siècle, la conception reste un mystère pour l’humanité. Toutes les théories concernant le « mécanisme » de l’acte procréateur sont jusque là loin de la vérité médicale. Et même au 18e siècle, Voltaire pensait qu’on ne pourrait jamais résoudre cette énigme. Et comme la femme est celle qui porte la nouvelle vie dans ses entrailles, ce ne serait peut-être pas surprenant de remarquer que sa position dans la société a été déterminée, à travers l’histoire, par les idées acquises sur la conception.

Ainsi, dans la préhistoire, la femme est le symbole de la fécondité, l’homme ignorant sa contribution dans la procréation. Les découvertes archéologiques font la preuve, par les représentations disproportionnées des femmes, à l’age du matriarcat (les statues avec les seins, le ventre et les hanches de dimensions exagérées).

La situation change quand, par analogie avec son rôle d’agriculteur (il sème la terre et la terre donne le fruit)[2], l’homme prend conscience de son importance dans la conception. Ce n’est plus la femme, mais l’homme qui est responsable de la reproduction, la femme n’étant plus que le récipient du sperme fécondant, ou encore, une « matrice nourricière »[3].  Plusieurs textes dans l’Ancien Testament évoquent cette idée. Par exemple, l’histoire d’Onân montre l’importance du sperme, de la « semence » masculine. Le mâle fécondateur est évoqué dans le livre de Job, dans un exemple du monde animal. En parlant du bonheur des méchants dans ce monde, Job dit :

« Leur taureau féconde à coup sur, / leur vache met bas sans avorter » (Job, 21, 10).

Dans le Livre de la Sagesse, on affirme encore une fois la puissance fécondatrice de la semence masculine. On y trouve une autre idée, qui circulait, nous allons voir, depuis longtemps, parmi les médecins antiques (le livre de la Sagesse est considéré comme le plus récent des livres de l’Ancien Testament, datant probablement du premier siècle av. J.-C.), notamment celle de la contribution maternelle à la conception en tant que nourricière, par le sang (menstruel ?) :

« J’ai été ciselé en chair dans le ventre d’une mère, /  où, pendant dix mois, dans le sang j’ai pris consistance, / à partir d’une semence d’homme et du plaisir, compagnon du sommeil. » (Sagesse de Salomon, 7, 1-2).

Essayons de voir quelle était l’opinion des médecins de l’antiquité. Car les enseignements des Pères des premiers siècles, que nous voulons prendre, par la suite, comme point de repère (surtout en ce qui concerne le statut de l’embryon) ont du s’appuyer sur les connaissances médicales de l’époque. Hippocrate (460–377 av. J.-C.) considère que l’embryon est le résultat de la rencontre des deux semences, masculine et féminine. Leur mélange est « cuit » dans le ventre maternel et « coagule » pour former l’embryon. Donc, les deux, homme et femme, sont impliqués dans l’acte procréateur, quand les conditions sont favorables :

« Il y a, tous les mois, un jour propre à la génération, où les germes d’un mâle et ceux d’une femelle peuvent s’unir ensemble. »[4]

« Si, après le coït, la femme ne doit pas concevoir, d’habitude le sperme provenant des deux (partenaires) sort [...] ; si elle doit concevoir, la semence ne sort pas, mais reste dans la matrice. En effet, la matrice, après avoir reçu le sperme et s’être fermée, le garde en elle, puisque son orifice se resserre sous l’effet de l’humeur, et ce qui provient de l’homme et de la femme s’y mélange »[5].

Hippocrate parle lyriquement de l’Air qu’il définit ainsi : « On appelle vents ou esprits le souffle qui est dans le corps et qu’on nomme au dehors l’Air », et il ajoute que l’Air donne la vie aux hommes[6]. Dans sa vision, c’est à cet « Air », nommé « souffle » quand il est à l’intérieur de l’homme, qu’on doit la coagulation de la semence des deux parents, et c’est lui qui donne et maintient la vie de l’œuf :

« Si la semence des deux parents reste dans la matrice de la femme, d’abord elle se mélange, vu que la femme ne reste pas immobile, et, en s’échauffant, elle se condense et s’épaissit. Ensuite, elle prend du souffle, vu qu’elle est au chaud et que la mère respire ; puis, quand le souffle la remplit, il se fait à lui-même un passage et sort du milieu de la semence ; et quand un passage se fait vers l’extérieur pour le souffle qui est chaud, un autre souffle froid y pénètre, venant de la mère, et cela se fait tout le temps. »[7]

Aristote (384-322 av. J.-C.), qui s’est intéressé aux différents aspects de la génération, et qui est considéré comme le premier « biologiste », partage ce point de vue : la femme a une place tout à fait mineure dans la conception. L’existence de l’embryon est due au sperme de l’homme, qui contient la seule semence, la femme n’est que la nourricière. Elle contribue à la conception par le sang menstruel, qui est lui aussi une semence, mais sans âme. Il voit dans l’embryon le résultat d’une résistance de la matière (qui provient de la femme, car les menstrues contiennent tous les organes, mais seulement en puissance) à la forme (issue de l’homme)[8]. « Selon que la matière aura plus ou moins résisté à l’idée originelle, l’embryon ressemblera plus à sa mère ou à son père. »[9] Toute contribution matérielle est refusée au mâle :

« Le corps est fourni par la femelle et l’âme par le mâle : car l’âme est l’essence d’un corps particulier »[10].

« Or, la femelle est bien, en tant que femelle, un élément passif, et le mâle en tant que mâle, un élément actif, et c’est de lui que part le principe du mouvement »[11].

Aristote rejette la théorie de Hippocrate, qui implique la semence féminine dans la conception. Si c’était vrai, considère-t-il, il aurait du avoir deux fœtus, car les semences mélangées ont le pouvoir de faire chaque organe en double. Il affirme donc que les deux semences ne sont point égales, mais admet en même temps que les deux sexes ont un rôle complémentaire et que leur union est indispensable à la procréation[12].

Même s’il refuse d’accorder à la femme un rôle égal à celui de l’homme dans la génération, il est tout de même plus modéré que certains prédécesseurs qui la considéraient un pur récepteur (par exemple, dans les Euménides d’Eschyle (658-661), on trouve affirmé que ce n’est pas la mère qui féconde celui qu’on appelle son enfant, mais l’homme : « la mère comme une étrangère sauvegarde la jeune  pousse »)[13].

Aristote compare la formation de l’embryon au processus de fabrication du lait caillé. La semence du mâle qui agit sur la matière (constituée du sang menstruel) est comme la présure ou le suc de figuier qui agit sur le lait et provoque sa coagulation. La conception est donc vue comme une coagulation des règles par le sperme :

« C’est comme dans la coagulation du lait : le lait est le corps, et le suc de figuier ou la présure fournit le principe coagulant »[14].

Galien de Pergame (131-201 d. J.-C.) a la même position que Hippocrate, mais, comme Aristote, il confond le sang menstruel avec la semence féminine et croit que le rôle de la semence féminine est de nourrir la semence masculine. À partir de cette idée, il élabore des méthodes de contraception en fonction des périodes qu’il considère infécondes chez la femme – c’est à dire pendant, juste avant et juste après les règles – méthodes, évidemment, vouées à l’insuccès. Il découvre les ovaires, qu’il appelle testicules féminins, sans savoir pourtant quel est leur rôle dans la conception.

Jusqu’au XVIIIe siècle, les opinions seront dominées par les théories aristotéliciennes et hippocratiques. Une des idées qui circulaient était celle de l’existence d’un organe primordial chez l’embryon (foie, cerveau ou cœur), le choix de l’organe dépendant de la localisation qu’on donnait à l’âme. Une autre conception, longtemps dominante, était celle de l’infériorité de la femme par rapport à l’acte procréateur. « Si le couple est stérile, c’est assurément que la matrice de la femme est inadéquate. Que la femme ne porte que des filles ? Son utérus est évidemment trop humide et trop froid. Alors que les filles proviendraient du testicule gauche (sinister en latin) et se développeraient dans la partie gauche de la matrice, les garçons, à l’inverse, seraient issus du testicule droit et s’accrocheraient dans la partie droite des entrailles féminines. »[15] Hippocrate affirme : « Si tous les enfants sont nés faibles, c’est la matrice qui est en cause, étant plus étroite qu’il ne faut »[16]. Certaines théories sont prises au sérieux par des théologiens. Par exemple, Thomas d’Aquin reprend une théorie qui circulait pendant le Moyen Age (selon laquelle il y avait des germes - de sperme - dans l’air et la femme pouvait tomber enceinte sans connaître d’homme – « imprégnation à distance » de l’œuf féminin par l’aura seminalis [17]) et considère que, avant le péché originel, les enfants étaient conçus sans que la rencontre sexuelle femme – homme soit nécessaire.

Du XVe  jusqu’au XVIIe siècle, les scientifiques de l’époque (Leonardo da Vinci, André Vésale, William Harvey, Gabriel Fallope, etc.), font progresser les connaissances anatomiques en pratiquant des dissections de cadavres humains. En 1555, André Vésale décrit les follicules ovariens et Fallope les trompes qui porteront son nom. Malgré ces efforts, on voit en l’embryon un petit homme en miniature.

Naissent les querelles entre chercheurs. Par manque de compréhension du mécanisme de la conception, des théories se combattent, basées sur des arguments idéologiques. Suite à la découverte des gamètes mâle et femelle, François de Plantade et ses disciples affirment que l’embryon provient du spermatozoïde, alors que Charles Bonnet lui donne pour origine l’ovule (la thèse oviste). William Harvey affirme lui aussi que l’homme provient d’un oeuf (1651). Malgré des observations exactes faites en étudiant des daines, sa conclusion est que la femme est fécondée par le contact de l’homme, « comme l’aimant magnétise le fer qu’il touche, ou comme l’homme sain est contaminé au contact du malade »[18]. Le vrai procréateur est Dieu : « L’œuf est le produit de la matrice féminine, sous le regard de Dieu et grâce à une mystérieuse action fécondante de l’homme »[19]. Une autre théorie est celle de l’évêque Niels Stensen (1667), qui croit que les ovaires contiennent des oeufs avant le coït. L’origine de tous les oeufs est le moment de la création de l’homme, puisque Dieu n’a rien créé depuis.  

Harvey prend part également aux querelles entre épigénistes (qui disent que « l’embryon prend forme et se structure étape par étape, en fonction de l’environnement »[20]) et préformationnistes (l’embryon est un homme en miniature, déjà entièrement formé), à la fin du XVIIe siècle, en défendant la thèse épigéniste. L’argument en faveur de l’épigenèse est apporté par Kaspar Friedrich Wolff, qui fait en 1759 des études sur les embryons de poulet et constate leur profonde évolution en quelques jours.

Voici quelques théories sur la conception, plus ou moins proches de la réalité, lancées jusqu’au XIXe siècle. Dans beaucoup de cas, les deux derniers siècles avaient été marqués par des observations très exactes sur les mécanismes de la fécondation, suite à des expériences sur des animaux, mais, paradoxalement, les conclusions tirées étaient presque toujours erronées, à cause de la forte influence des idéologies de l’époque (surtout l’ovisme et le préformationnisme). Ainsi, l’abbé Spallanzani (1729-1799) étudie les mécanismes de reproduction des batraciens et constate qu’il y a un principe nécessaire à la fécondation dans le sperme  (s’il met du sperme filtré sur les oeufs, il n’y a pas de réaction ; s’il utilise du sperme frais sur les mêmes oeufs, la fécondation a lieu). Et pourtant, contre toute logique, il continue à soutenir la thèse oviste. De même, Albrecht von Haller, son contemporain, adepte du préformationnisme, tire des conclusions étranges, après avoir disséqué et étudié attentivement les ovaires de la femme : c’est à partir du contenu liquidien du follicule de De Graaf que se forme l’embryon. Et ceci, par analogie avec la métamorphose des insectes, dont la génération se ferait à partir d’une matière fluide, transparente, invisible. Et c’est à cause de cette transparence qu’on ne peut pas voir les parties préformées du fœtus d’insecte. Les savants du XVIIe et du XVIIIe siècle ont fait beaucoup d’expérimentations intéressantes, mais les idéologies qui influençaient leurs recherches les ont empêchés de comprendre le rôle exact de l’homme et de la femme.

La naissance de l’embryologie moderne est située dans la deuxième moitié du XIXe siècle.  C’est depuis ce moment qu’on enregistre les découvertes majeures dans le domaine, que nous allons mentionner brièvement.

Karl Ernst von Baer, qui avait découvert en 1827 le vrai ovule, jusqu’alors confondu avec les follicules, montre que la naissance de l’embryon se fait par feuillets successifs : l’ectoderme (qui donnera naissance à la peau et au système nerveux), le mésoderme (qui génère les tissus conjonctifs, le squelette, les glandes et organes excréteurs), et l’endoderme (qui produit le tube digestif).

Mi-XIXe siècle, les scientifiques admettent une relation entre le spermatozoïde et l’ovule, en rejetant les théories antérieures, mais c’est Oscar Hertwig qui vient élucider le mécanisme de la fécondation : en 1875, il observe la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule et le fait que les noyaux s’unissent au moment de la fécondation.

En 1883, Van Beneden arrive à la conclusion que les chromosomes de l’œuf proviennent en parties égales du spermatozoïde et de l’ovule. La découverte des chromosomes mâles et femelles permet de comprendre la transmission des caractères héréditaires.

Dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, on avait découvert les chromosomes et on avait même localisé des gênes, grâce à des recherches sur la drosophile. Mais il y avait très peu de connaissances sur l’hérédité (sur la génétique en général), peut être à cause du maigre savoir sur la constitution chimique du noyau des cellules. C’est à peine à l’approche des années 40 qu’on découvre que l’ADN est la substance chimique qui transmet l’hérédité. En 1944, grâce aux recherches (sur un microbe, le pneumocoque responsable des pneumonies)  d’Oswald Theodore Avery, Colin MacLeod et Maclyn McCarty, on peut affirmer que les gènes sont constitués d’ADN, fait qui paraissait jusqu’alors invraisemblable.

La découverte de l’ADN et du code génétique aura un impact considérable sur plusieurs disciplines (embryologie, physiologie, philosophie), car, on l’affirmait, l’origine du code génétique se confonde avec l’origine des êtres vivants.[21]

Clarence McClung découvre en 1902 l’existence des chromosomes sexuels et montre le fait que la paire 23 différencie l’homme (XY) de la femme (XX). Mais c’est uniquement en 1956 qu’on affirme à coup sur que l’homme a 46 chromosomes et non 48, comme on avait cru longtemps.

Dans les années ‘20, Julien Huxley affirmait à propos des chromosomes, qu’ »il s’agissait de particules dont l’homme de la rue lui-même devra incorporer le nom à son vocabulaire, puisque ce sont elles qui font ce que nous sommes »[22].

L’année 1910 marque la fin du conflit entre préformationnistes et épigénistes, par la mise en évidence par Briggs et King de la totipotence des cellules embryonnaires. En 1950, l’embryologie devient la « biologie de la reproduction ».

 

Nous continuerons notre périple dans l’histoire de la conception dans le sous-chapitre « La conception aujourd’hui ». Mais il nous semble important de nous arrêter par la suite sur l’opinion des Pères de l’Eglise sur la conception.

 

I. 2 La conception selon les Pères

 

Il y a peu de propos concernant la conception dans les écrits des Pères de l’Eglise. À part quelques références directes, nous pouvons déduire, jusqu’à un certain point, leurs enseignements sur le sujet qui nous intéresse, des ceux exposés dans d’autres contextes (création de l’homme, mariage, stérilité, virginité, etc.).

Dans son traité sur la création de l’homme, Saint Grégoire de Nysse parle du « mode de génération » de l’homme. Il affirme qu’à l’origine la vie humaine était comme celle des anges et que la sexualité n’aurait pas donc existé sans la faute : « [...] il est évident que la vie d’avant la faute était en quelque sorte angélique [...]. Or, comme on l’a dit, ceux-ci ne se marient pas, et pourtant leurs armées sont des myriades infinies : c’est ainsi que les décrivent les visions de Daniel (Dan 7, 10). Il s’ensuit que, de la même façon, dans le cas où le péché ne nous aurait pas détournés et fait dévier de notre égalité avec les anges, nous n’aurions pas eu besoin, nous non plus, du mariage pour nous multiplier ».[23] De quelle manière la reproduction de l’homme se serait-elle faite sans le péché, c’est un mystère, mais Saint Grégoire lance l’idée qu’elle aurait été pareille à celle des anges : « Quant à la manière dont les anges se multiplient, c’est un mystère, que des conjectures humaines ne sauraient concevoir ou exprimer ; mais ce que l’on peut affirmer, c’est son existence ; et c’est ce qui se serait passé pour les hommes, qui ne sont que de peu inférieurs aux anges, et l’humanité aurait ainsi grandi jusqu’au terme défini par le dessein du Créateur »[24].

Mais Dieu, par Sa prévoyance, a su que l’homme allait être déchu et lui a donné le mode de génération, inférieur, du monde animal : « Celui qui amène tout à l’existence, et dont la volonté forme l’homme tout entier à l’image de Dieu, n’admet pas que ce soit la succession de générations s’ajoutant les unes aux autres qui conditionne la multiplication de la vie humaine, sa plénitude et son achèvement ; c’est l’ensemble de la nature humaine, dans sa plénitude, qu’il conçoit par l’action de sa prescience, il fait à l’humanité l’honneur de la rendre égale aux anges ; mais comme il voit d’avance, grâce à la puissance de sa prévoyance, que l’homme ne choisit pas la droite route du bien, et qu’ainsi il est déchu de sa vie angélique, pour éviter que la multiplication du genre humain ne soit tronquée, après la chute qui le prive du mode d’accroissement de l’espèce angélique, Dieu, après la faute où tombent Adam et Eve, met dans la nature humaine un mode d’accroissement mieux approprié : il ne s’agit plus de la noblesse des anges ; mais nous nous transmettrons la vie à la manière des bêtes privées de raison : voilà ce que Dieu établit pour l’humanité »[25].

C’est dans cette perspective que Saint Grégoire interprète le texte du psalmiste : « De là vient, me semble-t-il, que le grand David, s’apitoyant sur la misère de l’homme, se lamente en ces termes sur notre nature : « ‘L’homme dans son luxe ne comprend pas’ (Ps 49, 21) : ce qu’il entend par « luxe », c’est l’égalité de rang avec les anges. C’est la raison pour laquelle l’homme, dit-il, a été rejeté dans la compagnie des bêtes privées d’intelligence, auxquelles il ressemble (cf. Ps 49, 21). Car il est bien vrai qu’il est devenu bestial, l’être qui, en raison de son penchant vers la matière, a reçu de la nature un mode de génération qui s’inscrit dans l’écoulement du temps »[26].

Étant donc descendu, de ce point de vue, jusqu’à la condition de l’animal, l’homme doit, dans la vision de Clément d’Alexandrie, obéir aux lois de la nature. Et la nature prescrit, dit-il, qu’il faut subordonner le mariage à son but unique, celui de procréer : « La nature, en effet, comme pour la nourriture, nous recommande aussi à l’égard de l’union légitime de faire tout ce qui est congruent, utile et décent, et elle nous recommande de désirer la procréation »[27]. On trouve cette idée de la procréation comme fin unique du mariage exprimée avec insistance dans « Le Pédagogue » :

« Quand elles sont permises [les relations sexuelles], elles sont dangereuses, sinon dans la mesure où elles visent à la procréation »[28].

« S’unir sans chercher la procréation des enfants, c’est outrager la nature »[29].

« Le plaisir tout seul, même s’il est cueilli dans une union légitime, est contraire à la loi, à la justice et à la raison »[30].

JP Broudéhoux fait une analyse des propos de Saint Clément sur le mariage et la famille, dans l’ensemble de son oeuvre, et parle de certaines restrictions apportées par l’auteur à l’usage du mariage. Ainsi, si la procréation est le seul but des relations sexuelles, elles ne doivent avoir lieu qu’aux moments de fécondité de la femme. « Il n’y a permission d’ensemencer, pour celui qui est marié, comme pour un cultivateur, qu’au seul moment où la semence peur être reçue avec opportunité »[31]. De même, il interdit le mariage aux très jeunes et aux vieillards, car ils ne peuvent pas / plus procréer. La femme enceinte ne doit plus avoir des relations avec son époux, car, explique-t-il, « la matrice, désormais fermée, ne peut plus accueillir la semence ; dès lors, maintenir des rapports conjugaux, c’est faire violence à la nature »[32]. Il en est de même pour les relations pendant les périodes de menstruations. Ceci, par respect pour le sperme, pour ne pas le souiller de sang impur (« Car il n’est certainement pas conforme à la raison de souiller avec les impuretés du corps la partie la plus féconde du sperme, qui peut bientôt devenir un être humain »[33]). Il est évident que Saint Clément adopte ici la théorie qui circulait à l’époque, notamment le fait que la semence, le principe fondamental de la fécondation, se trouve dans le sperme de l’homme.

Il l’affirme d’ailleurs de manière explicite, quand il se réfère au processus de la génération. Ses propos reflètent les connaissances médicales du temps, et ce serait peut-être intéressant de faire une parallèle avec ce que ses prédécesseurs ou contemporains pensaient sur la conception. Par exemple, le fait que ce soit l’homme qui apporte l’essentiel dans la fécondation (la semence), par son sperme, était devenu classique et était adopté par médecins et auteurs chrétiens. Analysant la définition donnée par Clément (« une substance qui est au principe de la naissance et qui possède rassemblées en elles les idées de la nature »), Broudéhoux parle de l’attribution au sperme de deux fonctions : il apporte le point de départ de l’embryon, ainsi que les caractères du futur enfant[34]. Cette conception fait que le rôle de la femme soit réduit à celui d’une matrice nourricière, un réceptacle de la semence masculine (l’idée d’Aristote, embrassée également par Origène et Tertullien).

D’autres fois, Clément admet une participation de la femme à la fécondation. Dans ce cas, au lieu d’être tout simplement un réceptacle, elle est vue comme une aide dans la génération, car elle apporte, dans le sang menstruel, la matière de l’embryon, la forme étant apportée par la semence masculine. Cette idée ressemble à celle de Galien, qui confondait le sang menstruel avec la semence féminine et affirmait qu’elle nourrit la semence masculine.

Pour définir la nature de la puissance du sperme, Saint Clément se sert de la notion de      « πνεϋμα », qui est une propriété de la semence masculine et par lequel l’embryon se forme et prend vie. Dans « Le Pédagogue », il l’appelle « souffle chaud naturel », qui épaissit ce qui est dans les entrailles de la mère : « Ce qui est dans les entrailles de la femme, initialement, a une consistance humide, comme du lait ; ensuite, cette même matière devient du sang et de la chair ; elle s’épaissit dans l’utérus sous l’effet du souffle chaud naturel ; l’embryon se forme et prend vie. »[35] Notons la ressemblance avec les propos de Hippocrate sur le souffle qui coagule la semence dans l’utérus de la mère. Chez Saint Clément, il s’agit de l’âme sensitive, opposée à la partie supérieure de l’âme (τò ηγεμουικόυ), et qui est donc apportée par la semence masculine au moment de la conception.[36] Nous lisons dans « Stromates » : « L’homme simplement tel est formé selon  le plan du ‘πνεϋμα’ qui lui est inné ; car il n’a pas été créé sans plan ni forme dans l’atelier de la nature ; c’est là que la naissance de l’homme se réalise d’une manière mystérieuse, où l’art va de pair avec l’existence. »[37]

Malgré l’intérêt qu’il montre au processus de la conception et en dépit de son insistance concernant la procréation comme but unique du mariage, et encore en dépit de sa lutte contre l’avortement (qu’il considère un meurtre), Saint Clément se montre assez réservé quant à l’importance de concevoir, d’avoir des enfants. Broudéhoux en trouve deux exemples, l’un qui a « la froideur » d’un syllogisme, l’autre qui rend un point de vue qui n’est pas personnel. Ainsi, Saint Clément dit :

« D’un acte dont l’abstention est un mal, la pratique de toute façon est un bien ; il en est ainsi également pour tout le reste. Si perdre des enfants compte parmi les plus grands maux, en avoir est donc un bien. Et dans ce cas le mariage aussi. »

« Les poètes plaignent un mariage ‘à moitié parfait’ et sans enfants ; ils estiment heureux, au contraire, celui qui est comme ‘entouré d’une abondante végétation’[38].

L’attitude de Saint Clément est en général l’attitude des Saints Pères et écrivains de l’Eglise, car il faut dire que pour ceux-ci la fécondité biologique et l’enfantement ont une valeur relative. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ne regardent même pas la procréation comme but unique du mariage (voir les homélies de Saint Basile de Césarée ou Saint Jean Chrysostome). Un des commentateurs de l’œuvre de Tertullien, Claude Rambaud, associe les opinions de celui-ci au courant de son temps. Il parle d’une dévalorisation du mariage et de la procréation (ce qui entraîne une décroissance de la population) comme une caractéristique de l’époque de l’écrivain. Conséquence : Auguste promulgue des lois qui obligent les citoyens à avoir des enfants. Tertullien, dit Rambaud, recommande plutôt la virginité et la chasteté : « Dans le monde grec, comme dans le monde latin, nombreux étaient aussi ceux qui considéraient le mariage comme un mal nécessaire, justifié uniquement par la nécessité d’avoir des enfants. Tertullien affirme que de son temps, les païens n’ont d’enfants que sous la contrainte de la loi, et il trouve cela normal. Pour lui comme pour eux, mariage et procréation ont en grande partie perdu leur sens »[39].

Ce n’est plus important de procréer, mais de se fortifier dans les bonnes actions, de se préparer pour la venue du Christ. Pour les chrétiens de leur époque, l’avènement du Royaume est proche, ou même imminent (Maran Atha). Il n’y a donc plus le temps d’engendrer et de former les nouvelles générations ; c’est le temps où, dit Saint Jean Chrysostome, « nous sommes conviés à une sagesse plus haute, où nous sommes sur le chemin du ciel, où nous ne tenons nul compte du présent, au milieu des préparatifs pour l’autre vie (Homélies sur Anne, II, 1).  La femme n’a plus la condition qu’elle avait dans l’Ancien Testament, où l’infertilité était condamnée et provoquait même l’exclusion du couple de la vie communautaire.

Il nous semble important de mentionner dans ce contexte que dans la prédication des Pères, les notions de « conception », « fécondité », « fertilité », « procréation », bien que très présentes, sont transposées du plan naturel dans le plan spirituel. Il est question, chez eux, de deux formes  de fécondité spirituelle : l’une, qu’on pourrait appeler « intérieure », et l’autre, « extérieure » ; l’une, qui se réfère à soi-même, l’autre, qui embrasse l’autrui. La première, « c’est celle qui fait naître en nous et dans toute notre vie la sainteté, grâce à l’intimité sans cesse recherchée avec le Logos »[40]. C’est la préparation de chaque moment (dont on parlait plus haut) pour l’autre vie ; c’est la transformation, c’est la μετάνοια ; et c’est aussi la condition pour réaliser la deuxième forme de « fécondité ». Celle-ci se réfère à l’engendrement des enfants « spirituellement », c’est-à-dire éduquer et former les autres dans le Seigneur, faire d’eux des arbres qui apporteront l’abondance de fruits dans l’Eglise du Christ. C’est dans cette perspective que la fécondité biologique elle-même trouve son accomplissement, car avoir des enfants par la nature est un don de Dieu et ne constitue nul mérite, mais les élever dans la vertu fera vraiment fécond l’engendrement biologique :

« Ta récompense sera belle, si les enfants que tu a mis au monde demeurent dans la charité et dans la sainteté. Si donc tu leur inspires ces vertus, si tu les y exhortes, si tu les leur conseilles, Dieu te récompensera amplement de tes soins »[41].

Ceux qui engendrent dans le Christ deviendront le peuple élu :

« A celui qui a engendré des enfants selon le Logos, et les a éduqués et formés dans le Seigneur, de même qu’à celui qui a appelé à la vie en enseignant la vérité, est destinée une récompense, car ils sont la race élue »[42].

 

 

II.3    La conception aujourd’hui

 

II.3.1 Les nouvelles techniques de procréation

On affirme que de nos jours environ un couple sur six a des difficultés pour avoir des enfants. Les problèmes de fertilité sont situés du côté de l’homme, de la femme, ou bien du côté du couple. Selon les problèmes, la médecine propose différentes techniques pour aider à la procréation. Ces techniques sont nommées procréations médicalement assistées (PMA), ou, d’après une appellation plus récente, il s’agit génériquement d’assistance médicale à la procréation (AMP).

Dans certains cas, il suffit juste de favoriser la fécondation. Lorsqu’il y a un problème d’obstruction des trompes utérines chez la femme ou des canaux génitaux, une intervention chirurgicale peut régler le problème. Si ce sont des troubles de l’ovulation qui sont en cause, un traitement hormonal peut suffire pour régler ces problèmes et favoriser la procréation. Les  deux premières techniques que nous présentons par la suite sont proposées pour répondre à ces inconvénients.

i. La chirurgie (plastie) tubaire consiste dans la désobstruction des trompes ou la reconstitution du pavillon de l’ampoule tubaire. Les techniques utilisées sont :

-   la laparotomie  - opération par ouverture abdominale, surtout dans le cas où les lésions se trouvent sur la moitié interne de la trompe, où le diamètre est très fin,

  • la cœliochirurgie - à ventre fermé - pour les adhérences autour de la trompe ou des ovaires, ou
  • la cœlioscopie – geste explorateur par lequel on introduit par l’ombilic une optique reliée à une lumière froide, à l’aide de laquelle on peut étudier le petit bassin ; ensuite, en faisant une ou deux petites incisions cutanées dans la région pubienne, on peut introduire des instruments fins (laser, ciseaux) pour désobstruer les régions avec adhérences.

ii. Le monitorage de l’ovulation est une technique qui comprend deux étapes : la stimulation et le déclenchement de l’ovulation.

  • la stimulation de l’ovulation a pour but de recruter plusieurs ovocytes pendant le même cycle et de déterminer avec précision le moment de leur maturation, afin de pouvoir déclencher l’ovulation. La stimulation peut être faite soit en stimulant l’hypophyse elle-même, qui ensuite stimulera les ovaires, soit en stimulant directement les ovaires par l’administration de deux hormones associées[43].
  • le déclenchement de l’ovulation peut être ensuite provoqué par une injection intramusculaire d’hGC (Hormone Gonadotrophine Chorionique Humaine). L’ovulation se produit normalement trente-six heures après. On associe à ces deux techniques une troisième, notamment le soutien de la phase lutéale*, par administration de la progestérone, dont le rôle est très important dans le maintien de la grossesse.

La stimulation de l’ovulation associée aux deux autres techniques peut être utilisée seule. Elle a le rôle d’augmenter la probabilité d’une grossesse, car la superovulation ainsi obtenue signifie une augmentation du nombre d’ovocytes susceptibles d’être fécondés. Ceci surtout dans le cas d’une déficience spermatique, car l’hyperfertilité de la femme peut compenser le problème de son partenaire. Elle est aussi un moyen de favoriser la rencontre des gamètes, car on connaît le moment de l’ovulation.

Mais le monitorage de l’ovulation est aussi partie intégrante des autres techniques de PMA que nous allons présenter par la suite.

 iii. Les inséminations artificielles

Si les spermatozoïdes n’arrivent pas à passer le col de l’utérus ou si il y a un problème d’infertilité masculine, l’insémination artificielle peut être envisagée. Cette technique consiste à injecter, à l’aide d’une pipette, les spermatozoïdes, recueillis après masturbation, directement dans l’utérus, le jour de l’ovulation. Dans les cas de stérilité masculine importante, l’insémination peut se faire avec le sperme d’un donneur. Il y a deux types d’insémination : avec sperme du conjoint* ou avec sperme du donneur* (quand le conjoint est stérile ou présente une hypofertilité grave ou est porteur d’une maladie génétiquement transmissible).

iv. La fécondation in vitro (FIV)

 La FIV est la technique proposée en cas de stérilité tubaire définitive : trompes obturées et inopérables (lésions plurifocales, échec d'intervention antérieure, tuberculose), trompes absentes après intervention pour grossesse extra-utérine, lésions infectieuses (essentiellement à chlamydia) ou endométriose. Du coté masculin, la FIV classique est indiquée en cas d'insuffisance spermatique. Le recours à la FIV peut être également proposé après échec des autres thérapeutiques. La technique comprend plusieurs étapes :

-    La stimulation de l’ovulation

La FIV pourrait être réalisée en cycle spontané, à condition qu'il soit normal. Cependant, cette technique est devenue une exception, et cela pour plusieurs raisons: elle est inutilisable chez les patientes dont l'ovulation est anormale ou absente ; la fécondation d'un seul ovocyte donne des résultats très inégaux et le plus souvent les résultats sont largement inférieurs à ceux des cycles stimulés ; en France, le nombre de FIV prises en charge par l'assurance maladie est limité.

Les ovaires sont donc stimulés afin d'obtenir le développement de plusieurs follicules.
L'objectif est de recueillir un nombre suffisant d'ovocytes matures afin de pouvoir obtenir un nombre d’embryons à transférer. Le taux moyen de fécondation étant de l'ordre de 60 %, on essaie d’obtenir au moins quatre à cinq ovules fécondables. Quand au moins deux follicules sont arrivés à maturité, l'ovulation est déclenchée par une injection d’hCG.

La ponction folliculaire doit avoir lieu avant la rupture folliculaire, qui surviendra sinon 40h environ après le déclenchement. La ponction est le plus souvent échoguidée, par voie transvaginale, sous anesthésie locale avec prémédication. D'autres voies, ainsi qu'une anesthésie générale peuvent être nécessaires si les ovaires sont d'accès difficile. Les complexes cumulo-ovocytaires sont isolés du liquide folliculaire, mis dans un milieu de culture et conservés dans une étuve à 37°C sous atmosphère de 5% de CO2 dans l'air.

-    Le recueil des gamètes

Les spermatozoïdes utilisés pour l'AMP sont préparés selon plusieurs techniques qui ont toutes pour objectif de recueillir le maximum de spermatozoïdes de bonne qualité.
Les spermatozoïdes du conjoint peuvent être utilisés tout de suite. Les spermatozoïdes du donneur doivent être conservés par congélation pendant six mois avant utilisation, et ne sont utilisés au bout de ce délai qu'après vérification de l'absence d'infection chez le donneur.

Il y a trois techniques de recueil du sperme:

1. Le sperme est habituellement obtenu par masturbation, après deux ou trois jours d'abstinence.

2. Le sperme peut être également recueilli dans les urines en cas d'éjaculation rétrograde (éjaculation dans la vessie).

3. En cas d'absence de spermatozoïdes dans le sperme (azoospermie) ou d'absence d'éjaculation rebelle au traitement, les spermatozoïdes peuvent être recueillis chirurgicalement au niveau des voies génitales ou des testicules.

La technique de préparation dépend de la qualité du sperme : les spermatozoïdes peuvent être extraits par lavage, centrifugation et migration, ou par centrifugation sur gradients de densité.

-    L’insémination et la fécondation dans le laboratoire

Les ovocytes sont mis en contact avec les spermatozoïdes quelques heures après la ponction, pour laisser à leur maturation le temps de se compléter. Le nombre de spermatozoïdes utilisés va de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers selon le volume de milieu de culture utilisé. Au bout de 17h environ, deux noyaux (les " pronuclei") sont ordinairement visibles, l'un étant celui de l'ovocyte, l'autre correspondant à la tête du spermatozoïde, attestant ainsi de la fécondation. Les ovules ayant plus de deux pronuclei (polyspermie) sont éliminés à ce stade car, bien que non viables, ils peuvent cliver normalement et seront ultérieurement impossibles à distinguer des embryons normaux.

Au bout de 24h, une nouvelle observation retrouve les embryons au stade de deux à quatre cellules et permet de les classer, habituellement en quatre types A,B,C ou D.

-    Le transfert des embryons

Transfert immédiat. Les embryons sont habituellement transférés dès l'obtention des premières divisions, c'est-à-dire le surlendemain de la ponction, éventuellement un jour plus tard. Les embryons sont placés dans la cavité utérine à l'aide d'une fine canule. Le geste est ambulatoire (pas d'hospitalisation). Les embryons de type A et B, dont les taux d'implantation sont équivalents, sont utilisés en priorité, car ils donnent les meilleures chances de grossesse. Dans ce cas, un à deux embryons seulement sont replacés pour éviter le risque de grossesse multiple et les embryons A et B restants sont congelés. Les embryons de type C et D donnent peu de grossesses et ne résistent pas à la congélation. Ils ne sont donc utilisés que par défaut et à l'état frais.

Transfert retardé (culture prolongée). Le transfert peut être plus tardif, cinq à six jours après la fécondation, si les embryons sont gardés en culture jusqu'au stade blastocyste. Ces cultures prolongées nécessitent le recours à des milieux spéciaux. L'avantage du transfert au stade blastocyste est de permettre un contrôle du début de la croissance embryonnaire, stade critique du développement où surviennent de nombreux arrêts. Les blastocystes ont un meilleur taux d'implantation. Cette sélection des embryons permet de n'en transférer qu'un ou deux pour réduire le taux de grossesses multiples.

-    Conséquence de la FIV : la congélation des embryons

Les embryons non transférés à l'état frais peuvent être conservés par congélation, en vue d'un replacement ultérieur (transfert différé), à la condition toutefois qu'ils soient d'une qualité suffisante (types A et B).

 v. Les fécondations intra-tubaires sont des techniques recommandées pour les patientes dont au moins une trompe est normale (perméable):

  • Le GIFT (Gamete Intra Fallopian Transfer)
  • Le ZIFT (Zygote Intra Fallopian Transfer)
  • Le TET (Tubal Embryo Transfer)
  • Le POST (Peritoneal Oocyte and Spermatozoid Transfer)

Le GIFT (gametes intra fallopian transfer = transfert de gamètes dans la trompe de Fallope) est de date plus récente que les autres techniques de PMA (1983-1984) et ressemble à la Fivete en ce qui concerne l’obtention et la préparation des ovocytes et des spermatozoïdes. Les gamètes sont ensuite  déposés dans l’ampoule tubaire. La fécondation a donc lieu à l’intérieur de la femme et non pas in vitro. Le dépôt des gamètes se fait par cœlioscopie sous  anesthésie générale. Si possible, on introduit deux ovocytes dans chaque trompe ou quatre dans une seule trompe, accompagnés d’un nombre de spermatozoïdes d’environ 100 000/ml. Pr. René Frydman affirme dans son guide des PMA, à propos de cette technique : « S’il y a de nombreux ovocytes, il est préférable d’en soumettre un certain nombre à la fécondation in vitro et de congeler les embryons obtenus afin d’éviter le risque de grossesse multiple qui résulterait du transfert d’un très grand nombre d’ovocytes dans les trompes »[44] (c’est moi qui souligne). Le taux de succès du GIFT est estimé à 30%. Il permet donc d'obtenir de meilleurs taux de grossesses que la FIV mais présente l'inconvénient de ne pas démontrer la fécondance des gamètes.

Le POST consiste à placer les gamètes non pas dans la (les) trompe(s), mais dans la cavité péritonéale. L’idée de départ est que le liquide péritonéal constitue un bon milieu de culture et que les gamètes migrent spontanément dans les trompes, mais la technique est peu utilisée.

Le ZIFT et le TET ont le même principe que le GIFT,  sauf que la fécondation a lieu in vitro. Le ZIFT consiste à introduire dans la trompe l’oeuf fécondé (le zygote), tandis que dans le TET l’intervention se fait au stade d’embryon, soit vingt-quatre heures plus tard que dans le premier cas. Ces deux techniques sont habituellement appliquées aux infertilités de cause masculine, immunologiques ou inexpliquées et nécessitent qu'au moins une trompe soit normale.

 

vi. La fécondation par micro injection

Intra Cytoplasmic Sperm Injection (ICSI) ou la fécondation par micro injection est une technique récente. Elle ressemble à la FIV, sauf que cette fois, on injecte directement, à l’aide d’une micro pipette, le spermatozoïde dans l’ovule. Cette technique est utilisée lorsqu’il y a un trop petit nombre de spermatozoïdes dans le sperme pour que la fécondation se réalise. S’il n’y en a pas du tout, on peut même les prélever directement dans les canaux génitaux masculins et les testicules. Le taux de réussite de cette technique est d’environ 30%.

L'ICSI peut être réalisée avec du sperme frais ou ayant été congelé. Complémentaire de la Fécondation In Vitro (FIV), elle est considérée comme la " thérapeutique " biologique la plus avancée des fécondations dites "assistées", qui fait nettement reculer, affirment les chercheurs, la notion de stérilité masculine.

Son but principal est de court-circuiter l'étape de fixation-fusion-pénétration du spermatozoïde dans l'ovule lorsqu'existe un dysfonctionnement au niveau d'une ou plusieurs de ces phases. Elle consiste donc en une introduction mécanique sous microscope d'un seul spermatozoïde vivant, à l'intérieur de chaque ovule recueilli par ponction. 

Nous n’avons présenté ici que les techniques qu’on pourrait appeler « majeures ». En effet, même si chacune d’entre elles permet de résoudre plusieurs causes d’infertilité chez un couple, les techniques de PMA sont extrêmement nombreuses et peuvent intervenir « à chaque étape qui va du désir psychique jusqu’à la fusion des deux noyaux des gamètes »[45].

 Nous n’allons pas insister sur la légitimité ou l’aspect moral des techniques mentionnées, mais nous voulons uniquement soulever quelques questions, qui ne sont pas nouvelles, et qui concernent d’autres aspects que le statut de l’embryon, que nous considérons le plus ardent et qui constitue d’ailleurs le liant de notre travail.

 

II. 3.2 Réflexions sur les PMA. Implications médicales

Parlons tout d’abord d’un point de vue strictement médical, et comme si, en appliquant ces techniques, aucun embryon n’était sacrifié.

Les techniques de PMA provoquent, on le sait, une double dissociation: entre l’acte sexuel et la masturbation (afin de recueillir le sperme), entre l’acte sexuel et la procréation. En même temps, nul ne peut nier leurs avantages. Ces avantages, nous les connaissons bien, tous les traités de spécialité les mettent en évidence. De tous, le bien le plus important est, certainement, celui d’offrir un enfant à un couple qui souffre. Mais voyons maintenant quelles sont les difficultés provoquées par ces techniques. Nous ne pouvons pas nous ériger ni en juge, ni en personne qui propose des règles généralement valables, mais notre réflexion aiderait-elle peut-être ceux qui sont prêts à considérer le problème de tous les points de vue, avant de prendre une décision avec des conséquences incontournables.

La fécondation in vitro s’adresse principalement aux personnes dont la stérilité est causée par une occlusion tubulaire. Mais, affirme un théologien catholique, « les causes les plus fréquentes de cette occlusion (dans environ 90% des cas) sont l’avortement antérieur, l’usage du stérilet comme moyen contraceptif, et les maladies sexuellement transmissibles »[46]. Mais on n’en parle pas, peut être parce qu’on considère que le rôle du monde médical n’est ni de juger des actes antérieurs, ni de diminuer la liberté des gens en leurs proposant une certaine hygiène et morale de vie (d’ailleurs, la pose du stérilet est un acte recommandé, car évite le risque de grossesses non désirées et donc de l’avortement).

Restent les autres 10 %, dont la stérilité est indépendante de leur comportement. La question est la même : un recours à la PMA, est-il souhaitable ?

Pourrait-on parler de la stérilité comme d’une maladie ? À l’époque de Hippocrate, la stérilité n’était pas une maladie proprement dite, mais plutôt une déficience qui n’affectait pas pourtant la santé des gens. On voit bien à travers l’histoire qu’elle est perçue comme une cause de souffrance profonde, mais à aucun moment on ne l’a considérée comme une maladie au sens stricte du terme. À la suite de la loi sur la bioéthique (29 juillet 1994), la situation change, au moins en France, car on peut désormais considérer la stérilité du couple comme une maladie. En tout cas, si elle est une maladie, les techniques proposées ne la guérissent pas. On se demande même si on peut vraiment appeler la recherche dans ce domaine une lutte contre la stérilité.

La stérilité est perçue comme une infirmité du couple, qui interrompt en plus la chaîne familiale. Le désir d’avoir un enfant est la somme de plusieurs désirs (d’aimer, de jouir, d’être enceinte, d’avoir un enfant, de se prolonger charnellement, de continuer la lignée, d’accoucher, d’être éducateur/éducatrice, etc.[47]). Se voir dans l’impossibilité de réaliser tous ces désirs peur provoquer une crise profonde. Ce n’est pas pour cela que le médecin ému par la souffrance du couple doit courir pour réaliser leur rêve, à tout prix, en utilisant des techniques qui pourraient elles-mêmes causer d’autres crises encore plus profondes. On ne peut pas « s’enfermer dans une morale de la pure intention »[48] ; ce n’est pas parce que les intentions sont bonnes que les techniques utilisées soient justifiées.

Un travail avec le couple pourrait par conséquent être envisagé avant le recours à toute technique artificielle.

La vie sur la terre a, d’un certain point de vue, une valeur relative, elle est uniquement l’ébauche de la vie à venir. C’est pour cela que « l’acharnement procréatique d’un couple qui utiliserait sans discernement n’importe quel moyen pourvu qu’il obtienne un enfant « qui le prolonge » apparaîtrait comme contraire à la logique profonde de la résurrection »[49], affirme un théologien catholique. Car ce n’est pas l’homme qui est le maître de la vie. « Emplir et soumettre la terre » (Gn 1, 28) – la parole de Dieu ne fait pas de l’homme un propriétaire despotique, qui se met à la place de Dieu en toute décision. Dans l’Ancien Testament, c’est Dieu qui est la source de la vie. Stérilité et fécondité sont dans ses mains (histoires de Sara, Anna, etc.). Dans l’Ancien[50] comme dans le Nouveau Testament, surtout dans les Epîtres, et chez les Pères de l’Eglise, la fécondation charnelle est relativisée en faveur d’une fécondation spirituelle.

Les implications médicales de la FIV ne devraient pas passer inaperçues. Nous allons reproduire, en nous passant de tout commentaire, une liste d’ « aveux » faits par des spécialistes, concernant la qualité même des embryons et des enfants procréés en FIV :

« La FIV produit probablement plus d’embryons anormaux que la reproduction naturelle. Nous avons vu que les 2/3 des embryons de la fécondation in vitro ne sont pas viables contre la moitié en reproduction spontanée ; nous avons vu que cette différence est essentiellement due au fait que la stimulation-ponction n’est pas parfaitement adaptée à la physiologie de l’ovaire et qu’elle fournit un pourcentage plus élevé que l’ovulation spontanée d’ovocytes immatures et post-matures, qui seront à l’origine d’embryons non-viables ne dépassant pas quelques jours d’existence. On peut ajouter que probablement l’extension de la FIV aux hypofertilités masculines les plus sévères augmente encore le nombre d’embryons non-viables.

Il faut aussi admettre que nombre d’entre eux sont, en particulier du fait même de l’immaturité des ovocytes qui les ont fournis, porteurs d’anomalies chromosomiques.

[...] très probablement environ 60% des embryons produits en FIV portent une anomalie chromosomique, au lieu de 50% en reproduction naturelle.

[...] le reproche fait à la FIV de produire artificiellement plus d’embryons non viables que la reproduction naturelle est justifié.

[...] en moyenne 25% des embryons produits en FIV ne peuvent pas être transférés sur le cycle FIV sans risques importants de grossesses multiples.

[…] Il y a nettement plus de prématurés et de retards de croissance intra-utérine que dans la population générale.

La mortalité périnatale (mort in utero et décès du premier mois postnatal) est sensiblement plus importante après FIV» [51].

La femme doit être également consciente du fait que, à part la joie du succès d’une FIVETE, il arrive très souvent que plusieurs embryons s’implantent dans l’utérus et que, dans tous ces cas, on lui propose une réduction embryonnaire (c’est-à-dire un avortement sélectif) afin de donner plus de chances de développement normal à son (ses) enfant(s). Elle se retrouve ainsi obligée de choisir un ou deux parmi les embryons implantés et d’avorter les autres, elle qui avait souffert auparavant à cause de son infertilité. Le monde médical est fort conscient des implications d’une telle situation :

« Autrement plus aigu est le problème des avortements partiels provoqués, souvent pudiquement appelés réductions embryonnaires, pratiquées quelques fois sur les grossesses triples, quadruples ou quintuples (jamais sur des grossesses gémellaires, sauf pour raison médicale), et ce pour plusieurs raisons :

-    si ces embryons volontairement détruits sont bien moins nombreux que les embryons abandonnés, ils sont évidemment tous viables, et à un stade plus avancé de leur développement [...];

-    cette manœuvre n’est pas toujours inoffensive et 3 à 5 % des grossesses ainsi réduites s’interrompent accidentellement ;

-  s’y ajoutent pour les femmes les conséquences psychologiques habituelles de l’avortement volontaire, qu’elles vivent de manière encore plus aiguë, dans ces circonstances de traitement de l’infécondité et avec en plus une interrogation sur le « choix » de l’embryon à sacrifier »[52].

Ajoutons à cela deux extraits d’articles récents, qui présentent des résultats assez inquiétants, mais non pas nécessairement surprenants, sur les enfants procréés par ICSI ou in vitro. Selon ces deux sources, ces enfants présentent plus de risques de malformations congénitales que les enfants conçus normalement :

« Les défauts graves de développement sont deux fois plus fréquents chez les enfants conçus par ICSI (injection intracytoplasmique de sperme) ou par fécondation in vitro, rapporte une étude australienne publiée dans la revue The New England Journal of Medecine.

M. Hansen et coll. ont comparé l'état de santé à un an de 376 bébés issus d'une procréation médicalement assistée à 4.000 enfants conçus naturellement entre 1993 et 1997 : la part d'enfants atteints de graves anomalies congénitales était de 9% pour le premier groupe (8,6 pour l'ICSI, 9% pour les FIV) et de 4,2% pour le second. Ces résultats ont été établis après ajustement des cas suivant l'âge maternel, la parité, le sexe de l'enfant et la corrélation entre frères et sœurs. L'origine de cette différence sera difficile à élucider, en raison des multiples causes possibles liées à la complexité des techniques utilisées d'une part, et à l'évolution des pratiques de procréations médicalement assistées ces dernières années d'autre part » (P. Kaldy, NEJM, 07/03/2002).

« TORONTO (PC) - Les bébés conçus grâce à des technologies modernes comme la fécondation in vitro courent deux fois plus de risques de présenter d'importantes malformations congénitales, et un poids plus faible, que des bébés conçus naturellement, selon deux études publiées jeudi dans le New England Journal of Medicine. Étant donné la popularité croissante des méthodes de procréation médicalement assistée, il serait recommandé de suivre plus étroitement les enfants conçus ainsi pour déterminer si ces techniques peuvent contribuer à des problèmes de santé à long terme, estime le docteur Jennifer Kurinczuk, l'un des auteurs d'une des études, épidémiologiste qui travaille aujourd'hui à l'Université de Leicester, en Angleterre. Et les gens qui envisagent de recourir à l'injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde (…) devraient soupeser ces risques ainsi que les autres risques déjà identifiés, avant de prendre leur décision » (site http://cf.news.yahoo.com/020307/1/6ki3.html, jeudi 7 mars 2002).

Les données reproduites créent un tableau assez sombre de la FIVETE et de l’ICSI, mais il faut mentionner que tous ces inconvénients, même si considérés dans toute leur gravité, sont finalement perçus par les professionnels de la médecine comme le moindre mal face au service indiscutable que ces techniques rendent aux couples stériles. On est conscient, évidemment, de la gravité des problèmes adjacents que ces techniques provoquent, mais on soulève les épaules et on continue, en attendant que la science en trouve entre temps la bonne solution. Au couples de s’informer et d’assumer en toute responsabilité les conséquences de leurs décisions.

 

II. 3.3 Une position orthodoxe sur le recours aux PMA

Nous commençons notre (brève) évaluation orthodoxe en remarquant le fait que, vue la complexité des situations des couples qui désirent faire recours à l’assistance médicale à la procréation, l’impossibilité d’en offrir une solution unique paraît évidente, et que, par conséquent, les réponses devront être données au cas par cas. … Il y a néanmoins quelques repères qui peuvent aider à discerner, par exemple, entre des techniques compatibles, et des techniques qui ne peuvent pas être acceptées par notre Église. 

Le principe le plus important est, considérons-nous, celui de la non atteinte  à l’embryon. Si l’Eglise Orthodoxe ne s’est pas prononcée (officiellement, de manière synodale) sur le recours aux PMA, elle est catégorique, on l’a vu au chapitre précédent, en ce qui concerne le statut de l’embryon, en affirmant sans équivoque que la vie humaine commence au moment de la fécondation. Conséquemment, l’embryon est, dès ce moment, un être humain en évolution. Ce qui fait que toute technique médicale portant atteinte à celui-ci est inacceptable pour la foi orthodoxe.

Si elle veut sauver les âmes de ses croyants, l’Eglise ne peut pas se permettre d’adopter une attitude moralisatrice et de condamner d’emblée toute personne qui ne respecterait pas ses préceptes. Au contraire, il faut s’engager sur une voie qui a pour bords deux principes :

  1. « réfléchir continuellement » aux problèmes de son temps, « au fur et à mesure qu’ils apparaissent.[53]
  2. éviter « toute condamnation systématique au profit d’une étude cas par cas sur la base de chaque situation spécifique. [54]

Il y a tout de même certains repères, voir même limites bien définies, qui doivent guider le couple et leur père spirituel dans la prise des décisions. Le principe fondamental qui impose ces limites est celui du respect de la vie humaine.

Par exemple, si la FIVETE pourrait constituer une solution à l’intérieur d’un couple stable dont la motivation paraît saine[55] (on y reviendra), cela ne doit pas se faire qu’à condition d’exclure toute technique qui ne respecte pas la vie de l’embryon, notamment la création de plusieurs embryons, de laquelle dérivent toutes les autres :

  • avant l’implantation :
  • prolongation de la période « in vitro » de 48h à 5 jours (avec, également, des risques de malformations et de dérives, et qui permet un « diagnostic préimplantatoire plus fin »)[56];
  • la destruction, la congélation, ou l’utilisation des embryons non implantés, « surnuméraires », en vue de la recherche (ce qui entraîne automatiquement leur destruction) ;
  • après l’implantation de plusieurs embryons : la réduction embryonnaire, qui est l’équivalent d’un avortement sélectif [57].

À part le principe du respect de la vie de l’embryon, mentionnons-en un autre, notamment celui de la non-mixtion d’une tierce personne dans le processus de procréation. Deux techniques sont ainsi inacceptables du point de vue orthodoxe, à cause du risque de déstabilisation[58] du couple, mais aussi d’une « chosification » de l’enfant, par l’utilisation de « pièces détachées», cherchées ailleurs, afin de suppléer un manque à l’intérieur du couple[59]  :

-     l’insémination artificielle avec sperme du donneur

-   le « prêt d’utérus », donc les mères porteuses, qu’elles soient inséminées par le    sperme du mari ou qu’elles reçoivent l’embryon après avoir été fécondé in vitro.

Il y a, affirme le père Dominique Beaufils, une autre technique, plus récente, qui est non compatible avec les principes affirmés par l’Église Orthodoxe. Il s’agit de l’ICSI, c’est-à-dire l’introduction dans l’ovule énucléé d’un spermatozoïde ou même d’un fragment de spermatozoïde. C’est une technique qui fait de l’enfant un cobaye de laboratoire, car il s’agit d’une « manœuvre dont on ignore totalement les conséquences »[60], et, en plus, c’est une technique qui substitue le choix de l’homme à la « loi du hasard », ou, dirions-nous, au choix de Dieu[61]. Et qui pourrait dire quelles seront les conséquences d’un tel choix ?

Tout cela se situe du côté technique de la problématique. Mais il y a d’autres questions, « de principe », qui se posent quant à la légitimité et la conformité avec la foi orthodoxe du recours à l’AMP. Un des aspects les plus importants, c’est la motivation du couple (on parlait plus haut de « motivation saine »). Le désir d’enfant est parfaitement légitime, mais il faut savoir ce que ce désir signifie en vérité et s’il n’y a rien d’autre qui se cache derrière ce désir et qui ait pu le provoquer. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’égoïsme est à rejeter quant au désir d’un enfant, quelles que soient les formes qu’il peut revêtir : prouver (au monde) sa fécondité, concevoir un enfant pour qu’il accomplisse tous les desseins que le parent n’a pas pu réaliser dans sa vie (donc l’enfant comme réflexion de soi), concevoir un enfant pour avoir un héritier de tous ses biens ou un continuateur de la lignée, etc.

En concluant, rappelons que le mariage a pour but principal l’accomplissement de l’homme et de la femme et que la procréation est un don de Dieu, qui peut s’y ajouter (ou non). L’acharnement procréatif, « l’enfant à tout prix » est par conséquent une attitude à rejeter. Toutefois, par œconomia et pour l’équilibre du couple, on peut envisager de faire recours aux techniques de procréation médicalement assistée, tout en faisant attention aux implications de nos choix. Une autre solution qui pourrait être envisagée, une alternative possible serait l’adoption, qui pourrait, elle aussi, contribuer à l’épanouissement d’un couple, un geste duquel tout égoïsme serait exclu, car il ne s’agirait plus d’un enfant pour soi-même, mais pour lui, un enfant à aimer, d’un amour désintéressé, pour ce qu’il est.   

 

 ___________________________________________________________

[1] Voir page 9.

[2] René Frydman, Dieu, la médecine et l’embryon, Paris: Editions Odile Jacob, 1999, p. 23.

[3] Ibidem, p. 253.

[4] Hippocrate, Du régime, dans Macel Martiny, Hippocrate et la médecine, Paris: Librairie Arthème Fayard, 1964, p. 96.

[5] Hippocrate: De la génération, Tome XI, Paris: Société d’Edition « Les belles lettres », 1970, p. 48.

[6] Macel Martiny, Hippocrate et la médecine, Paris: Librairie Arthème Fayard, 1964, p. 90.

[7] Hippocrate, De la nature de l’enfant, Tome XI, Paris: Société d’Edition « Les belles lettres », 1970, p. 53.

[8] Jacques Gonzalès, Histoire naturelle et artificielle de la procréation, Paris: Bordas, coll. Cultures, 1996, p. 60.

[9] Frydman, op. cit., p. 24.

[10] Aristote, De la génération des animaux, Paris: Les belles lettres, 1961, I, 21, 729 b 10-13.

[11]  Ibid., II, 4, 738 b 25-27.

[12] Gonzalès, op. cit., p. 61.

[13] Simon Byl, Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles : Palais des Académies, 1980, p. 139.

[14] Aristote, op. cit., I, 20, 729 a 11-13.

[15] Ibidem, p. 25.

[16] Hippocrate: De la génération, p. 50.

[17] Frydman, op. cit., p. 30.

[18] Ibidem, p. 254.

[19] Idem.

[20] Ibidem, p. 26.

[21] Gonzalès, op. cit., p. 325.

[22] Gonzalès, op. cit., p. 318.

[23] Grégoire de Nysse, La création de l’homme, Paris: Desclée de Brouwer, 1982, p. 102.

[24] Ibid., p. 103.

[25] Ibid., p. 104.

[26] Ibid.

[27] Le Pédagogue, Paris: Les Editions du Cerf, 1965, II, 90, 3.

[28] Le Pédagogue, II, 98, 2.

[29] Le Pédagogue, II, 95, 3.

[30] Le Pédagogue,  II, 92, 2.

[31]Le Pédagogue, II, 102.

[32] J. P. Broudéhoux, Mariage et famille chez Clément d’Alexandrie, Paris: Beauchesne et ses fils, 1970, p. 133.

[33] Les Stromates, Stromate II, Paris: Les Editions du Cerf, 1981, 135.

[34] Broudéhoux, op. cit., p. 150.

[35] Le Pédagogue, Paris: Les Editions du Cerf, 1960, I, 49, 1.

[36] Broudéhoux, op. cit., p. 152 .

[37] Les Stromates, Stromate  IV, Paris: Les Editions du Cerf, 2001, 150, 2.

[38] Les Stromates, II, 142, 2; II, 140, 1.

[39] Claude Rambaud, Tertullien face aux morales des trois premiers siècles, Paris: Les belles lettres, 1979.

[40] Broudéhoux, op. cit., p. 161.

[41] Homélies sur Anne, I, 4.

[42] Les Stromates, Stromate  III, Paris: Les Editions du Cerf, 1981, 98, 4.

[43] FSH et LH.

[44] René Frydman, Les procréations médicalement assistées, Paris: Presses universitaires de France, 1991, p. 67.

[45] Site internet de l' Institut national agronomique Paris-Grignon (INA P-G).

[46] Jean-Louis Bruguès, La fécondation artificielle au crible de l’éthique chrétienne, Paris : Fayard, 1989, p. 132.

[47] Xavier Thévenot, La bioéthique, Paris: Centurion, 1989, pp. 79-81.

[48] Ibid., p. 34.

[49] Ibid, p. 50.

[50] « Heureuse la femme stérile mais sans tâche (…) Sa fécondité paraîtra lors de la visite des âmes » (Sg. 3, 13), dans Beaufils, Dominique, « Éléments d’une réflexion orthodoxe sur la PMA », dans revue  Contacts, no175/996, p. 178.

[51] Claude Humeau, Françoise Arnal: Les médecines de procréation, Paris: Eds. Odile Jacob, 1994, pp. 353-357.

[52] Ibid., p. 357.

[53] Breck, John, « Technologies médicales du royaume ou du cosmos ? (une réflexion orthodoxe américaine) », dans Contacts, no175/996, p. 210.

[54] Ibidem, p. 208.

[55] Beaufils, Dominique, « Éléments d’une réflexion orthodoxe sur la PMA », dans revue  Contacts, no175/996, p. 182.

[56] Ibidem., p. 185.

[57] J’ai entendu parler du cas d’une femme qui avait fait recours à la FIVETE et qui avait accouché de trois enfants, car elle n’avait pas pu choisir, après nidation, l’embryon à avorter, en se disant que chacun d’entre eux est un être spécial et unique.

[58] « Si le mari est infertile, il ne faut pas rechercher la fertilité hors du couple, car on rompt alors une unité dont le fondement est divin » (Beaufils, op. cit., p. 187).

[59] Ibid., p. 186.

[60] Nous n’avons pas assez de recul pour connaître véritablement les conséquences de cet acte. De plus, on risque de léser l’ovule au moment de l’introduction du spermatozoïde.

[61] Lorsque les millions de spermatozoïdes rencontrent l’ovule, une compétition acerbe a lieu entre eux afin de pénétrer l’ovule et de le féconder. De cette compétition, un spermatozoïde, un seul, sera gagnant.