Qu'est-ce que la bioéthique ?
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- Publication : lundi 25 août 2014 13:13
- Écrit par pr. Razvan Ionescu
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La bioéthique est le résultat de tentatives d’évaluation éthique de l’acte médical. C’est une réflexion et une recherche visant à donner des éléments de réponses au sujet de l’ensemble des problématiques découlant de la responsabilité morale des médecins et des biologistes dans leurs recherches appliquées. C’est la conséquence de la rencontre entre les performances techniques contemporaines, engendrées par les nouvelles technologies, et leur nécessité d’évaluation éthique, le but étant une prise en compte active de la composante morale dans le processus de prise de décision, afin de tracer les contours d’une science à caractère moral[1], autrement-dit œuvrant dans le sens[2] des valeurs humaines.
Se situant au dessus et au-delà d’une simple discipline, puisqu’elle les surplombe toutes de part son horizon d’intérêt, elle est plutôt une investigation philosophique d’ordre pratique et normatif, visant à donner des repères. Pratiquement, la bioéthique médicale actuelle fournit aux professionnels de la santé des règles de conduite vis-à-vis de leurs patients et de leurs confrères, où encore, plus généralement, un code de déontologie pour les professionnels des sciences de la vie dans une perspective tenant compte de l’intérêt du patient :
« L'éthique médicale à travers la bioéthique concerne les règles morales qui protègent le malade d'une éventuelle dérive qui pourrait être le fruit de l'évolution des sciences de la vie. Depuis la fin du XIXe siècle, cette évolution concerne le domaine de la thérapeutique avec en particulier la découverte de la radiothérapie puis plus tardivement la découverte du code génétique et ses éventuelles applications dans le domaine de la thérapie génétique. Enfin, la notion d'éthique médicale fait intervenir également les règles scientifiques qui imposent au corps médical dans son ensemble (y compris le corps paramédical avec les infirmières, les kinésithérapeutes, les podologues, les orthophonistes, etc...) de vérifier que leurs attitudes médicales dans l'ensemble, et plus spécifiquement leurs soins, sont en adéquation avec des données scientifiques rigoureusement vérifiées. » [3]
Si la bioéthique doit son apparition aux nouvelles données scientifiques faisant suite aux progrès réalisés dans la recherche médicale et en biologie (voire le cas des biotechnologies), elle est dans son essence l’expression concrète d’un besoin croissant ressenti par la société, celui de pouvoir affronter avec un esprit critique les dilemmes d’ordre moral engendrés par l’apparition de possibilités techniques sans précédent dans le domaine des sciences de la vie, et qui investissent les chercheurs d’un « biopouvoir » (et les nations d’un « biocapital ») mettant en équation, avec beaucoup d’inconnues, l’intégrité biologique de l’être humain.
Née suite aux questionnements concrets suscités par l’évolution des technologies médicales, la bioéthique a un fort caractère applicatif et contextuel. Ce qui fait une des particularités de sa démarche, c’est qu’elle invite à son travail de réflexion des représentants de catégories sociales et de compétences professionnelles différentes, tels que philosophes, médecins, chercheurs, avocats et théologiens[4], et ceci contrairement à la démarche de déontologie médicale classique, qui se cantonne dans les problèmes éthiques des médecins. Ce qui explique l’intérêt que nous lui portons en vue d’une analyse des rapports entre théologie et science.
[1] Lorsque nous évoquons la « science à caractère moral », nous ne signifions pas par cela que la science puisse par elle-même, dans une démarche d’autosufissance, accomplir cette lourde tache. Comme le dit clairement le professeur en médecine René Frydman, « alors qu’elle prétendait jadis à l’omnipotence, la science pose aujourd’hui plus de questions qu’elle n’en résout. A défaut de créer du sens, de dispenser une éthique (et ce fut l’erreur du scientisme que de croire qu’une morale pouvait naître de la science, soulignons-nous), elle fait surgir des "faits de sens". Elle questionne les grandes traditions philosophiques, religieuses et morales, les mettant au défi de renouveler leur discours et leur réflexion » (René Frydman, Dieu, la médicine et l’embryon, éd. Odile Jacob, Paris, 1999, p. 16). Dominique Lambert, professeur de philosophie à Namur, voit à son tour dans la confusion entre le discours moral et le discours scientifique (stipulant que « toute approche de l’éthique doit s’appuyer sur la méthodologie empirico-formelle et les sciences de la nature constituent la seule instance normative solide pour l’agir humain ») une de deux facettes du concordisme éthique, attitude à condamner (Dominique Lambert, Sciences et théologie – les figures d’un dialogue, éd. Presses Universitaires de Namur & Lessius, Bruxelles, 1999, p. 84).
[2] Peut-on parler d’une science éthiquement neutre ? Ceux qui sont tentés à répondre d’une manière affirmative doivent savoir qu’il y a « au moins deux raisons pour considérer aujourd’hui l’hypothèse d’une "charge" éthique intrinsèque à la pratique scientifique et technologique. D’une part, l’approche du réel propre aux sciences est un "regard" objectivant et méthodologiquement réductionniste. Or, tout "regard"de ce type n’est pas compatible avec le respect d’une éthique basée sur le respect de la personne humaine. D’autre part, la science se confond, dans certains cas, avec des techniques lourdes dont l’existence dépend étroitement d’un nombre limité de structures d’intérêts et de profits qui ne vont pas sans poser des questions éthiques fondamentales ». (Ibidem, p. 40).
[3] http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/-thique-medicale-1819.html (consultée 12/06/2012)
[4] Voir: George Khushf, Handbook of bioethics: taking stock of the field from a philosophical perspective, éd. Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, 2004, pp. 1-6.